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ARRET “MEDIFLASH” : UN FREIN A L’UBERISATION DES METIERS DE LA SANTE ?
vendredi 23 mai 2025, par
Dans une série d’articles (4 septembre 2022, 24 mars 2024, 22 avril 2024) , Ouest-France chroniquait le “succès” de la société MEDIFLASH, plate-forme numérique proposant “
à des personnels de santé d’assurer des remplacements dans des établissements qui manquent cruellement de main-d’œuvre, sous le statut d’auto-entrepreneur. Avec des salaires plus élevés qu’en intérim”.
La société revendiquait en septembre 2022 “environ 7 000 soignants inscrits sur la plateforme, dont 850 en Ille-et-Vilaine, selon les chiffres communiqués par l’entreprise. « C’est plus de 17 000 « jours missions » placés avec des soignants, dont 5000 en Ille-et-Vilaine” et 4 millions d’euros de volume d’affaires, dont 400 000 euros en Ille-et-Vilaine. En 2024, Mediflash revendique 43000 soignants inscrits, dont 2600 en Ille-et-Vilaine.
Ce chiffre d’affaires proviendrait d’un pourcentage prélevé sur chaque prestation conclue à travers la plate-forme.
Les directions d’établissement de santé, un peu gênée aux entournures, ne peuvent que voir leur intérêt à recruter des soignants de cette manière, pour un “ coût total (...) de l’ordre de 20 à 25 % inférieur à ce qui est pratiqué habituellement” grâce à des taux de TVA et de charges sociales inférieurs à ce qui se pratique pour une société intérimaire”.
En mars 2024, une directrice d’établissement constate : “Une aide soignante Mediflash, c’est 2,2 fois moins coûteux qu’une intérimaire”
Les employeurs jurent n’avoir pas d’autres choix face à la pénurie…
Peu importe par ailleurs que ces “charges sociales” soient en fait des cotisations sociales destinées notamment, à payer les professionnels du soin…
peu importe que derrière ce “coût du travail” il y ait aussi la formation continue, la couverture sociale sous toutes ses formes…
Peu importe que la pénurie soit à relativiser, puisque les soignant.e.s sont là, ils se sont juste déplacés vers ces plate-formes parasitaires, poussé.e.s par la dégradation des conditions de travail dans les établissements sanitaires et médico-sociaux, dont les managements brutaux et / ou toxiques souvent pratiqués par ces mêmes directions sont aussi une composante essentielle et qui prennent le contrôle de nos vies jusque dans notre vie privée.
Dans un article d’avril 2024, l’ARS se déclarait “prudente” sur ces pratiques.
Lors d’une rencontre avec l’ARS le 25 mars 2024 , notre organisation syndicale dénonçait cette ubérisation et demandait de faire le nécessaire pour mettre fin à ces pratiques. Le représentant de l’ARS, poussé dans ses retranchements, finissait par admettre que cette pratique était illégale. Il s’était toutefois montré un peu compréhensif envers les directions qui utilisent ce moyen pour faire face à la pénurie de soignants. Nous n’avions pas senti une volonté ferme de mettre fin à ces pratiques.
Mais finalement le ministère lui-même a adressé un courrier aux directeurs d’établissements de santé, sociaux et médico-sociaux pour “ (les) mettre en garde (...) quant au recours aux services de certains professionnels paramédicaux, dont les aides-soignants, sous un statut de travailleur indépendant, en faisant valoir l’illégalité de cette situation au regard des dispositions du code de la santé publique et du code du travail et le risque, en cas de contentieux, de requalification des contrats conclus avec ces professionnels en contrat de travail ainsi que de possibles sanctions pénales pour travail dissimulation” .
Mediflash a bien senti le danger et en a contesté les termes devant le Conseil d’Etat, qui a statué par un arrêt du 11 février 2025 (Conseil d’État, 5e - 6e chambres réunies, 11/02/2025, 491128).
Si le recours a été jugé recevable (de manière tout à fait normale par ailleurs), le Conseil d’Etat a rappelé que le statut de travailleur indépendant était fondamentalement incompatible avec les conditions d’exercice du métier d’aide-soignant dans nos établissements.
Celui-ci implique en effet une délégation de responsabilité, et donc un partage et un contrôle, avec un.e infirmièr.e, conformément aux décrets de compétences de ces deux professions. Ce rappel est particulièrement bienvenu dans la mesure où l’emploi d’auto-entrepreneur nie la notion de métier, de travail en équipe, pour se concentrer sur celle de compétences, de tâches exercées dans une chaîne.
Il implique également le contrôle hiérarchique du chef d’établissement, deux critères fondamentalement liés par le statut d’auto-entrepreneur.
Dans des établissements sous pression en termes d’effectifs et de cadence de travail, un chef d’établissement ayant recours à Mediflash engagerait donc bien gravement sa responsabilité en cas d’incident de prise en charge avec un.e aide-soignant.e travaillant sous ce statut.
Si on ne peut que se satisfaire de ce rappel à l’ordre, il est à craindre que cet arrêt n’offre qu’un bref répit, car les conditions structurelles qui ont permis la création d’un tel “monstre social” sont toujours en place, et la fuite en avant ne peut que continuer.
Les déficits budgétaires, créés par un sous-financement organisé sciemment par les gouvernements successifs, privent les établissements des ressources nécessaires pour avoir des effectifs à la hauteur des besoins réels. Les rappels à domicile polluent la vie privée des professionnel.le.s, en situation d’astreinte permanente déguisée. Le management carbure au chantage ou à la menace.
Le travail quotidien en 12 heures explose, avec des semaines de 54h, y compris de nuit, comme au CHU de Rennes. Si cette “organisation” offre un échappatoire à court terme en générant en théorie de plus grandes séquences de repos, il est clairement identifié comme épuisant les corps et les esprits à long terme, comme l’a de nouveau démontré une récente étude sur les soignant.e.s de l’APHM.
Pour notre organisation syndicale, seule une refondation complète de notre système de santé permettra de résoudre et dépasser l’ensemble des ces contradictions.
Elle ne peut être assise que sur une désétatisation de son organisation, via un retour sous l’égide d’une Sécurité Sociale de nouveau autonome, financée à 100% par des cotisations sociales en volume suffisant. Son administration devra être de nouveau confiée aux cotisant.e.s / usager.e.s, les politiques ayant démontré leur incompétence ou leur volonté de saccager notre modèle social.